GPA, Conseil d’Etat et Cour européenne des Droits de l’Homme : sur RMC chez Bourdin

Retrouvez mon face-à-face avec Patrice Spinosi, avocat au Conseil d’Etat, qui a notamment défendu les époux Mennesson, fondateurs de l’association Clara (Comité de soutien pour la légalisation de la gestation pour autrui et l’aide à la reproduction assistée) sur RMC chez Jean-Jacques Bourdin (à partir de 37mn30)

Jean-Jacques Bourdin : Le Conseil d’Etat a décidé que les enfants nés de GPA pourront avoir la nationalité française. Que veut dire ce choix du Conseil d’Etat ?

Jean-Frédéric Poisson : Ce choix du Conseil d’Etat veut dire que, alors que tout le monde proclame que le recours aux mères porteuses est interdit en France, ce qui reste formellement vrai, les personnes qui ont recours à cette pratique à l’étranger et qui reviennent en France n’encourent aucune forme d’empêchement et aucune espèce de sanction. Les enfants nés de mères porteuses à l’étranger peuvent avoir la nationalité française comme s’ils étaient nés en France. Je conteste cette décision, bien sûr, car de mon point de vue, le recours aux mères porteuses est un acte grave, qui consiste à considérer qu’un enfant peut être un produit qu’on achète et la femme qui le fabrique comme une sorte d’usine ou d’outil, d’instrument. Sous ces deux rapports, d’une part la considération que l’on a pour l’enfant, de l’autre la considération que l’on a pour la femme, sa mère, qui le porte, c’est une double atteinte au respect que l’on doit avoir à l’égard d’un être humain quel qu’il soit. Donc oui, je crois que c’est très grave, et que c’est malheureusement révélateur de l’hypocrisie dans laquelle nous sommes sur ce sujet depuis maintenant quelques mois.

Patrice Spinosi : Monsieur Poisson est un homme politique qui développe une argumentation politique. Il y a juste une réalité juridique : la décision du Conseil d’Etat fait écho à celle de la Cour européenne des droits de l’homme. La position que défend M. Poisson était la position du droit français avant, mais elle n’est plus tenable, puisque la France a été condamnée parce qu’elle ne donnait pas de statut à ces enfants qui étaient nés par GPA à l’étranger.
Jean-Jacques Bourdin : Est-ce une légalisation déguisée de la GPA ?
Patrice Spinosi : Non, la Cour européenne comme le Conseil d’Etat ont posé comme principe que la France avait tout à fait la possibilité d’interdire la GPA. Ce qui a été décidé, c’est que ces enfants ne sont pas responsables de leur naissance et ont droit à un statut juridique. C’est uniquement sur ce point-là que la France a été condamnée et que le Conseil d’Etat a statué.

Jean-Frédéric Poisson : J’ai toujours du mal à comprendre cette argumentation qui consiste à dire que la CEDH a statué, alors il faut s’aligner sur la CEDH. Vous savez, c’est la même organisation, cette Cour européenne, qui vient de condamner la France à verser des dommages et intérêts aux pirates somaliens qui avaient été récupérés par la marine nationale parce qu’on les avait présentés trop tard à un juge. Alors, moi je me méfie beaucoup de cette espèce de machin qui nous fait verser des amendes et qui nous condamne, et je n’ai pas beaucoup de respect pour une institution qui prend ce genre de décision.
Sur la question de la nationalité, les enfants ne sont pas responsables de leur naissance, c’est vrai, mais cela est vrai pour tous les enfants. Le fait qu’on dise que ces enfants nés de mère porteuse à l’étranger n’ont pas de statut juridique est faux : ils ont un statut juridique. Il faut qu’ils en demandent un au pays dans lequel ils sont nés. Un point c’est tout. La France n’est pas obligée de s’aligner sur des décisions qui, de mon point de vue, inscrivent dans le droit de manière beaucoup plus formelle qu’avant des décisions et des pratiques qui sont très graves.

Patrice Spinosi : On peut se battre contre des moulins : la Cour européenne existe depuis déjà un certain temps et a permis des avancées considérables de notre droit. C’est à l’une de ses condamnations que l’on doit pour les enfants adultérins d’être traités comme les enfants légitimes. C’est à elle que l’on doit la réforme de la garde à vue qui était pratiquée dans des conditions tout à fait inacceptables auparavant. Je pense qu’il faut accepter cet état de fait. Il y a beaucoup de nostalgiques de l’époque où la loi française pouvait faire exactement ce qu’elle veut et même contraindre les citoyens contre leurs libertés fondamentales. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. On fait partie d’un ordre, on vit en Europe, et la CEDH condamne la France. Nous avons été condamnés et nous avons des engagements internationaux. Dans ces conditions-là, il faut reconnaitre les décisions de justice qui sont rendues.

Jean-Jacques Bourdin : Jean-Frédéric Poisson, vous contestez le Conseil d’Etat ? Vous ne vous sentez pas lié par la Cour européenne ?

Jean-Frédéric Poisson : Je ne peux absolument pas être d’accord avec la décision du Conseil d’Etat ! Encore une fois, il n’y a avait aucune obligation à ce que le gouvernement laisse faire ça sans réagir. Le gouvernement a choisi, malgré les allégations du premier Ministre, de ne pas faire appel de cette décision de la Cour européenne, montrant que le premier ministre lui-même a une position très ambigüe sur cette question, premièrement. Deuxièmement, je suis lié comme citoyen et obligé de constater que la décision de la CEDH devrait s’appliquer, mais moralement je ne me sens absolument pas lié par une décision de cette nature. Encore une fois, ce n’est pas parce que le temps change qu’il faut légaliser tout ce qui bouge ! Il y a un moment où ce raisonnement a aussi des limites.

 

 

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